Le jardin d’Eden

« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
»
[…]
C’est seulement dans la Genèse 2, au verset 7 que les problèmes commencent à apparaître. Je cite : « L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » Non, mais sans déconner, qu’est-ce qui lui a pris au bon Dieu de créer l’homme ?

Et comme les problèmes n’arrivent jamais seuls, ne voilà-t-il pas que Dieu décide de dupliquer son erreur : « L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. » Bon, on peut comprendre que ce ne doit pas être joyeux-joyeux de se balader tout seul, tout nu au Jardin d’Eden, donc pourquoi ne pas lui créer de la compagnie. Dieu décida alors de créer les animaux.

Mais visiblement l’homme en voulait davantage. Aussi, Dieu décida-t-il de créer la femme : « L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme. »
Bon, faut dire que pour créer la femme, Dieu utilisa une côte prise à l’homme… En même temps, c’est logique, il a voulu faire un autre être, similaire au premier. Quoi de mieux alors que d’utiliser une partie de celui-ci pour en créer un second ?

Une fois l’alchimie divine effectuée, voici que la femme prit vie. Dieu la ramena vers l’homme.
L’homme, que Dieu avait décidé d’appeler Adam, fut estomaqué à la vue de la femme.
Elle s’approcha doucement d’Adam, tous deux le corps nu comme un ver, et lui dit d’une voix tendre : « Bonjour Monsieur. Auriez-vous l’amabilité de me dire ce que je fais ici ?

Bonjour Madame. Je me nomme Adam. Nous sommes ici au Paradis. Ce lieu porte le doux nom de Jardin d’Eden. Toutes les bonnes choses y sont réunies, nul mal existe en ce lieu.

Comment me nommé-je ?

Tu porteras le nom d’Ève et tu seras ma femme. D’une de mes côtes tu as été conçue. »
Ève, l’air totalement abasourdi, fit « oui » de haut en bas avec la tête.
Adam surenchérit : « Tout ceci est notre demeure. Nous sommes, ici, chez nous. Nous pouvons disposer de tout ce qui s’y trouve, ou presque. Le seul arbre qui nous est défendu est l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Il nous est formellement interdit d’y toucher sous peine de mort. »

Ève regarda autour d’elle, puis dit : « L’immensité et la diversité de tout ce qui nous entoure fait que même si nous voulions goûter au fruit de chaque arbre nous entourant, il nous faudrait mille et une vies entières avant d’en arriver à l’arbre défendu.

En vérité… en vérité je te le dis, Ève, nous aurons bien d’autres choses à faire que de goûter au fruit de l’arbre défendu. »
Le coquin vous dîtes-vous, n’y pensez même pas ! On vous a dit que les locataires du Jardin d’Eden étaient dénués de la connaissance du bien et du mal. Adam disait cela en toute innocence.

Le temps passait, les jours se ressemblaient les uns les autres. Une certaine routine, bien qu’agréable, commençait par s’installer. Mais n’allez pas imaginer une seule seconde que cette routine posait un quelconque problème à nos deux tourtereaux, loin de là.
Seulement, l’engrenage dans lequel on se prend lorsque la routine s’installe entraine une baisse de la vigilance. Déjà qu’au Jardin d’Eden, on n’a rien à craindre, alors si en plus notre perception des choses est altérée par la routine, bonjour les dégâts.

Le dégât en question se matérialisa sous la forme d’un serpent. Il profita d’un instant où Ève se retrouva seule, à contempler l’horizon et à songer à la beauté de ce jardin, pour l’aborder.
Il réussit à la convaincre, sans grande peine, à manger le fruit de l’arbre défendu par ces quelques mots : « Vous ne mourrez point, mais Dieu sait que, le jour où vous y goûterez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

Elle entendit Adam l’appeler au loin, se retourna et s’aperçut soudain que le serpent s’était volatilisé. « J’arrive », cria-t-elle en direction d’Adam.
Durant cette journée comme les autres en apparence, elle ne cessa de songer à ce que le serpent lui avait dit. Elle voulait en faire part à Adam, mais n’osait pas.

Durant les jours qui suivirent, elle s’arrêtait sans cesse devant l’arbre du fruit défendu et le contempla longuement. Elle ne parvenait pas à se décider d’en parler à Adam.
C’est seulement au bout du 7ème jour qu’elle trouva le courage d’aborder le sujet avec lui.

Tous deux étaient assis sur un banc, à regarder deux papillons voler autour l’un de l’autre. Elle se lança : « Adam ?

Oui, ma chère Ève ?

Puis-je te poser une question qui me tourmente depuis une semaine maintenant ?

Naturellement. »
Elle lui conta alors sa rencontre avec « un animal » (elle resta volontairement muette sur le fait qu’il s’agissait d’un serpent) et lui indiqua ce que ce dernier lui avait porté à sa connaissance. Elle débitait les mots comme une personne qui avait besoin d’avouer quelque chose.

À la fin de son récit, Adam resta bouche-bée quelques secondes. Il ne savait quoi répondre. Elle l’intima de dire quelque chose.
« Écoute, Ève, je ne sais pas quoi te répondre… Mais sois bien consciente que toucher au fruit de l’arbre est la seule chose que Dieu, notre Père, nous ait défendu.

Je le sais bien. Mais, n’est-ce pas justement pour nous empêcher d’accéder à la connaissance ? Cette connaissance qui n’a aucune limite.

J’ignore ce que notre Père a voulu empêcher ou non. Je sais seulement qu’il vaut mieux lui obéir. Le contrarier est la dernière chose que je souhaite.

Mais… ne ressens-tu pas une certaine soif de connaissance ? Une certaine faim ? Et cette merveilleuse pomme peut assouvir cette soif et cette faim.

Bon, autant te le dire tout de suite, ma chère Ève, ce sera sans moi. Hors de question que cette pomme touche mes lèvres.

Mais enfin, Adam. Je t’en prie, ne sois pas aussi catégorique. Je ne te demande qu’une seule chose, c’est d’y réfléchir.

Pourquoi n’y goûtes-tu pas toi-même à cette pomme qui te promet une connaissance infinie ?

Évidemment que je vais y goûter. Seulement, je ne veux pas être seule à en disposer.

Ne compte pas sur moi, Ève.

De toute manière, Dieu, notre Père, n’en saura rien.

Non, Ève, c’est un non définitif. Rien, ni personne ne pourra me faire changer d’avis. »

Ainsi s’acheva leur discussion. Ève se sentait à la fois soulagée d’en avoir parlé à Adam, et à la fois écœurée qu’il n’adhère pas à son projet.

Adam, quant à lui, se sentait terriblement troublé. Cela avait réveillé en lui une curiosité folle vis-à-vis de ce fruit, de cette connaissance qu’il est censé refermer, mais et surtout, des conséquences que le fait d’y goûter pourrait avoir.

Les jours s’enchaînaient et se ressemblaient les uns les autres. Adam finit par oublier la discussion qu’il avait eu avec Ève au sujet du fruit défendu.

Un matin, alors qu’Adam était encore couché, Ève décida d’aller se promener près d’une cascade d’une eau pure et limpide.
Elle se posa sur un rocher humide pour contempler l’horizon. La beauté de l’endroit, la beauté du moment était à couper le souffle.

Captivée par cette splendeur, elle ne prêta pas attention au serpent qui s’approchait lentement du rocher sur lequel elle était posée. Lorsqu’il fut à sa hauteur, il siffla, ce qui surpris grandement Ève. À tel point que celle-ci chuta dudit rocher et sa tête vint heurter le sol, quelques mètres plus bas. Elle perdit connaissance instantanément.

De son côté, Adam ouvrit à peine les yeux lorsqu’il remarqua qu’Ève n’était pas à ses côtés. Il l’appela à haute voix, par trois fois. Aucune réponse.
Il commençait à s’inquiéter, car ce n’était nullement dans les habitudes d’Ève que de partir de si bonne heure.
Il la chercha du regard autour de lui, mais ne vit rien.

Il se rappela alors la discussion qu’ils avaient eu jadis. Il fit immédiatement le lien entre sa disparition et la volonté d’Ève de goûter au fruit de la connaissance.
Il en était sûr : elle ne pouvait être que près de l’arbre.
En toute hâte, il se dirigea vers celui-ci.

Malgré sa grande précipitation, il aperçut tout de même le corps allongé et inerte d’Ève, en bas du rocher.
Il enjamba les quelques mètres qui les séparaient en un rien de temps et, lorsqu’il fut à son niveau, il se pencha pour la prendre dans ses bras.

Il la secoua et cria son nom, mais en vain, Ève ne présentait pas le moindre signe de vie.
Il posa sa tête sur sa poitrine, son cœur continuait de battre. Il fut légèrement soulagé.

Ne voyant aucune réaction de la part d’Ève à toutes ses tentatives, une certaine panique commençait à le gagner. Il ne savait que faire.
Les larmes commencèrent à couler sur ses joues. Puis, il commença à sangloter bruyamment.
Levant les mains, il implora Dieu de lui venir en aide. Mais il ne reçut, là encore, aucune réponse.

Au bout d’un certain temps, il entendu un « Pssst » qui semblait venir de derrière le rocher.
Quelques instants après, de nouveau « Pssst »…

« Qui va là ? » dit Adam « Est-ce vous Dieu, mon Père ? »

« Pssst »

« Hé ho ! »

Il vit doucement apparaître le serpent. Adam fut grandement surpris lorsqu’il l’aperçut. La première chose qui le marqua fut la splendeur de la peau du serpent. Il la trouva magnifique.

Le serpent s’approcha plus près de lui et lui dit : « Vous êtes désespéré, mon enfant ?

Mon enfant ? Est-ce vous, Dieu ?

Non, mon enfant, non. Je suis simplement quelqu’un qui te veut du bien… Pssst.

Vous m’en voyez navré, mais je n’ai pas le temps de discuter avec vous. Ma femme, que voici (il souleva légèrement Ève en la direction du serpent), est inerte.

Je le sais. Figurez-vous que je peux même vous aider.

Ah oui ? Et comment comptez-vous m’aider ? »

Le serpent s’approcha encore plus près d’Adam, tellement près qu’il n’avait maintenant besoin que de chuchoter pour se faire entendre. Il fixa Adam et lui dit : « Tout ce que vous avez à faire pour sauver votre femme est de goûter au fruit du savoir. Ainsi, vous aurez la connaissance pour réanimer votre chère épouse.

Mais, enfin, il m’est impossible de faire une telle chose. Dieu, notre Père, nous a strictement interdit d’y goûter.

Mon enfant, comprenez que Dieu vous a dit tout cela dans un contexte tout autre. Là, il s’agit d’une situation d’une urgence extrême. La vie de votre bien-aimée est en jeu. Il vous faut agir rapidement.

Mais comment puis-je être certain que je serai en mesure de la sauver ?

Vous ne le pouvez pas, vous devez me croire sur parole.

Mais… »
Un long silence assourdissant s’ensuivit, on n’entendait que l’eau se déverser en contrebas et des chants d’oiseaux au loin.

Au bout d’un certain temps, Adam posa le corps rigide d’Ève à terre, il se leva brusquement et se dirigea tout droit vers l’arbre de la connaissance.
Lorsqu’il fut arrivé, il tendit sa main pour attraper cette fameuse pomme de la connaissance. Il l’agrippa et la décrocha de l’arbre. Il la scruta un moment, puis la dirigea vers sa bouche et fit un croc vigoureux dedans.

A ce moment-là, plus rien. Un voile d’un noir intégral le saisit.

Il revint à lui au bout d’un certain temps. Il ne saurait absolument pas estimer le temps qui séparait son réveil du moment où il avait croqué dans la pomme. Il était profondément confus.

Il tenait une faux à la main. Les rayons du soleil lui brûlaient la nuque, il faisait une chaleur de bêtes.
On entendait le chant des grillons en fond sonore. Il avait faim, il avait soif.

Il se retourna et aperçut Ève, au loin, sur le perron d’une vieille maison. Elle lui fit signe de la main et cria en sa direction : « Bon, tu te magnes, on ne va pas y passer la journée ! Il faut également que tu répares l’encadrement de la porte de l’entrée ! »…
Bon Dieu, c’est donc ça, l’Enfer ?