Le réveil d’une suicidaire

Rose avait dans les vingt-quatre ans et pour elle, cela signifiait vingt-quatre années de tourments et de souffrances. L’un de ses oncles prenait le soin de tendrement abuser de son innocence de jeune fille, puis d’adolescente (quoiqu’elle ne fut pas aussi innocente à cette période de sa vie). Elle le détestait. Elle s’était promis qu’un jour, elle aurait le courage de lui ôter la vie et ses testicules avec.

Ses parents faisaient mine de ne rien remarquer, ce qui avait d’autant plus le don de l’agacer au plus haut point. Elle détestait ses parents pour cette raison. Car en dehors de cela, ils étaient plutôt gentils avec elle, sans toutefois être les parents de rêve, elle estimait qu’elle n’avait pas à se plaindre.

Côté scolarité, cela tenait davantage du miracle qu’elle ne fut pas déjà renvoyée de ses différents établissements ou qu’elle ne fut pas placée dans un centre de détention juvénile. Elle avait un don particulier pour s’entourer des mauvaises personnes. Aussi, ces dernières avaient une certaine influence nocive sur elle. Rose était devenue une mauvaise personne à partir du collège. Mais elle avait l’impression d’avoir des amis et des copines… Elle ne s’était nullement interrogée sur ces personnes. Elle ne s’est jamais posée la question suivante : « Qui serait prêt ou prête à prendre une balle pour moi ? »
Elle aurait bien vite compris que son amitié n’était qu’illusion et artifice.

En terminale, elle avait appris une bonne nouvelle : son oncle pédophile était décédé dans un accident de voiture. Ce dernier avait pris le volant après une soirée arrosée et avait fauché une femme enceinte avant d’aller s’encastrer dans un mur de banque. Elle ne put cacher sa joie à l’annonce de cette nouvelle, ce qui lui valut un sacré sermon de la part de son père. Cette nouvelle fit l’effet d’une bombe pour elle, elle était décidément libérée d’un poids.
Puis, elle se dit que son oncle avait été une ordure jusqu’au bout, même mourir, il n’avait pas pu le faire seul, il fallait qu’il entraîne la vie d’une innocente avec lui.

Elle avait difficilement obtenu son bac puis, après quatre mois d’études supérieures, elle décida d’abandonner cela et de commencer à travailler. Elle avait décroché un job en tant que femme de chambre dans un hôtel près du domicile de ses parents. Tout commençait à rentrer dans l’ordre.
Elle avait mis un peu d’argent de côté, pour plus tard ou pour les imprévus.

Rose avait commencé à fréquenter l’un de ses collègues, qui était à la réception de l’hôtel. Ils se virent pendant quelque temps avant de se décider à baiser. Leur première fois ne fut pas terrible, mais les fois suivantes étaient de plus en plus proches de l’extase ultime.
Après quelque temps, ils commencèrent à discuter sérieusement de s’installer ensemble, voire de fonder une famille.

Un jour, alors qu’elle était en plein travail, elle entendit son téléphone portable retentir. Mais elle n’y prêta pas attention, car elle avait presque terminé son service. Tout de suite après, son téléphone sonna de nouveau. Avec une ribambelle de jurons, elle le sortit de sa poche et regarda l’écran : « Numéro masqué », elle le remit dans sa poche.
Alors qu’elle mettait les draps sur le lit de sa dernière chambre, sa manager vint en courant la voir, le téléphone à la main.
« Rose, Rose ?!

Oui, madame Rubben ?

Rose, oh, mon Dieu, je suis désolée… mais il faut vraiment que tu prennes cet appel, dit madame Rubben en fondant en larmes.

Mais qui c’est ? »
Madame Rubben sanglotait et ne parvint pas à lui répondre. Rose comprit tout de suite que quelque chose n’allait pas.

Elle prit le combiné, l’approcha de son oreille et se racla la gorge :
« Oui, allô ?

Vous êtes Rose Nastor ?

Oui, oui, c’est bien moi. Qui est à l’appareil ?

Ecoutez madame, je suis navré d’avoir à vous annoncer cela, mais vos parents sont décédés dans un accident d’ascenseur. »
Le sapeur-pompier au bout du fil n’eut même pas le temps d’en dire plus que Rose avait envoyé valdinguer le combiné contre le mur et fondit en larmes. Madame Rubben tenta en vain de la consoler, mais Rose était devenue hystérique. Elle pleurait à chaudes larmes, puis ôta sa tenue de travail et sortit de la chambre en sous-vêtements.
Dans la rue, tous les passants se retournaient et faisaient le signe de croix.

Elle rentra directement chez ses parents, mais elle n’avait pas son sac à main où se trouvaient ses clés. Elle prit une brique pour briser l’une des vitres de la cuisine et entra ainsi. Elle se taillada la cuisse au passage. Elle saignait abondamment. Dans le salon, elle ouvrit l’un des placards et sortit une bouteille de whisky et but une longue rasade au goulot avant de s’en verser sur sa plaie ouverte.
Elle mit un pansement dessus dans la salle de bain. Le sang semblait s’être arrêté de couler. Elle s’habilla en vitesse et appela le 18.

La conversation avec l’opératrice était un peu compliquée, car entre les sanglots de Rose et le flegme de l’opératrice, elle mit bien une demi-heure avant d’obtenir ce dont elle avait besoin.

Elle se rendit aussitôt à la morgue. Elle fut prise en charge et on lui demanda d’identifier les corps. Elle pleurait toutes les larmes de son corps, mais l’un des personnels de la morgue lui tendit la carte d’un psychologue. Elle trouva cela humiliant au plus haut point, mais n’avait pas la force de lui conseiller de se la mettre là où elle pensait.

Elle s’occupa ensuite de toutes les démarches administratives qui suivent un décès. Elle était étonnée par la capacité qu’avait son corps à régénérer ses larmes.
Une fois tout cela fait, elle avait la date de l’enterrement, ç’allait être dans cinq jours.

Elle rentra à l’hôtel où elle travaillait pour récupérer ses affaires et rentra à la maison de ses parents. Au moment où elle inséra la clé dans la serrure, elle fondit en larmes et elle s’écroula au sol. Elle resta ainsi durant près de deux heures à pleurer. Certains voisins et passants restaient plantés devant elle et la regardaient avec un air de pitié, mélangé à du dégoût.

Lorsque le froid lui devint insupportable, elle se releva et rentra dans la maison. Là, de nouveau, elle se mit à pleurer durant de longues minutes. Puis, comme elle avait besoin d’un peu de réconfort, elle appela son copain.
Celui-ci répondit au bout de la première tonalité.

« Rose ? Je suis désolé, vraiment désolé. Je me suis dit que c’était peut-être malvenu de t’appeler aussi rapidement. Rubben m’a annoncé ça tout à l’heure…

J’ai besoin de te voir. Tu peux venir là ? Tout de suite ? dit-elle en sanglotant.

Écoute Rose. Je dois te dire quelque chose. Ce n’est pas le moment, mais je ne peux plus garder cela pour moi.

Viens et tu me le diras en face. J’ai besoin de toi, s’il te plaît, Sacha…

Non, écoute-moi Rose. Je ne vais pas venir.

Mais pourquoi ? cria-t-elle en fondant en larmes.

Rose ? Je suis séropositif. Et comme on ne s’est pas toujours protégé… tu devrais faire des tests. »
Là, il raccrocha. Rose tenta de le rappeler, mais il ne répondit pas. Elle n’était pas sûre d’avoir bien entendu. En réalité, elle avait parfaitement entendu, mais elle pria pour que cela ne soit que le fruit de son imagination.

Au bout d’une dizaine de tentatives, elle abandonna. Le monde semblait se dérober sous ses pieds. Elle s’allongea à même le sol dans le salon et contempla les craquelures du plafond tout en pleurant. Elle finit par s’endormir aux aurores et lorsqu’elle se réveilla, elle appela aussitôt Sacha. Pas de réponse de sa part. Elle appela madame Rubben et lui demanda si ses parents étaient morts. Cette dernière fondit en larmes et lui affirma que oui. Ce n’était donc pas un cauchemar.

Elle avait essayé d’aller voir Sacha, mais celui-ci était parti précipitamment selon sa propriétaire. Elle se mit à le détester à vouloir le tuer. À l’hôtel non plus, il n’avait guère plus donné de signes de vie.
Elle finit par se résoudre à l’idée qu’il valait mieux qu’un tel enfoiré sorte de sa vie.

La veille de l’enterrement, elle reçut une lettre de Sacha remplie d’excuses et de mea culpa. Il lui disait qu’il était désolé de ne pas avoir eu la force de faire face à tout cela. Qu’il l’aimait au plus haut point, mais qu’il ne la méritait pas.
Avant même de terminer de la lire, elle la déchira et la jeta à même le sol.

Le jour de l’enterrement, elle se réveilla aux alentours de 4h du matin. Elle n’avait fermé l’œil que durant quelques minutes. Elle avait l’impression d’être dans une dimension parallèle. Elle n’arrêtait pas de penser que tout cela n’était qu’un terrible cauchemar. Un cauchemar perpétuel duquel elle ne parvenait pas à se réveiller.

Elle resta assise sur son lit durant de longues heures avant de décider d’aller prendre une douche et de s’apprêter. Elle enfila un tailleur noir et un manteau tout aussi noir. Elle se regarda dans le miroir et fondit en larmes. Elle était sur le point d’enterrer ses parents, les fondations de sa vie, ses repères… comment allait-elle pouvoir vivre sans eux ?

Elle se repoudra, car les larmes l’avaient amochée et elle sortit. Elle devait prendre le métro, car le cimetière n’était pas tout près.
Après cinq minutes de marches, une pluie glaciale vint la martyriser. Elle accélérera le pas.

Une fois dans le métro, le tableau d’affichage indiquait que la prochaine rame allait arriver dans sept minutes. Elle regarda autour d’elle et ne vit que de la tristesse sur le visage des gens, du dégoût, un dégoût de cette vie morose et monotone.
Elle se mit à pleurer, car elle se rappela que dans quelques instants, elle allait enterrer ses héros.

Lorsque la rame arriva en station, elle se leva précipitamment et courut vers le bord du quai. Lorsque la rame fut à son niveau, le conducteur pila, mais l’allure du métro était encore trop importante pour s’arrêter à temps. Elle s’élança dans le vide et l’avant de la rame vint lui briser ses cotes et son crâne fut envoyé vers les rails avec une violence inégalée.
Son corps sur les rails, le métro lui passa dessus et déchiqueta sa chair blanche, des lambeaux imbibés de sang voltigeaient dans l’air tels une œuvre d’art abstraite.

Sur le quai, les autres usagers furent abasourdis. Des cris d’effroi et de terreur se firent entendre de-ci, de-là. Certains cachaient leur visage, quand d’autres, plus curieux tentaient d’apercevoir le cadavre de Rose.

Elle était méconnaissable lorsque les pompiers virent ramasser ce qu’il restait de son corps frigide. Ils en avaient vu d’autres, mais l’état dans lequel elle était fit avoir des haut-le-cœur à plus d’un des pompiers.

Ainsi, Rose n’avait pas eu à subir l’enterrement de ses parents. Elle n’avait pas eu à subir le stress inouï quant aux résultats de sa prise de sang relative au VIH.
Elle était en paix désormais. Plus rien n’avait d’importance. Elle allait rejoindre ses deux parents dans ce paisible havre de paix…

Le malin

Dmitri avait dans les quatre ou peut-être cinq ans quand cela s’était passé. Il vivait dans un village plutôt isolé au fin fond de la Roumanie. À l’époque, il n’avait pas vraiment conscience de ce qu’était la vie. Il vivait juste, il était constamment heureux. La vie ne devient réellement difficile que lorsque les premières pulsions sexuelles arrivent. Vous devez probablement savoir de quoi je parle.

Il vivait avec ses parents au premier étage de la maison familiale. Au rez-de-chaussée se trouvait l’atelier de menuiserie de son père. C’était là l’affaire familiale. Ainsi, il était le fils du menuisier du village. C’était plutôt cool comme statut.
La maison mitoyenne était celle de ses grands-parents paternels. Ses grands-parents maternels vivaient à une vingtaine de minutes à pied de là.

Sa mère fut l’une des premières femmes du village à avoir son permis de conduire et une voiture. C’était tout de même quelque chose à l’époque. Le style de vie était plus proche du Moyen-Âge que de l’époque contemporaine.

Un jour, ils allèrent rendre visite à ses grands-parents maternels. Ils y passèrent l’après-midi et une bonne partie de la soirée. Dmitri tombait de fatigue. Mais il résistait pour faire comme les grands. Et, accessoirement, il était plus qu’excité par la journée qui l’attendait le lendemain. En effet, il devait accompagner sa mère en ville en voiture. C’était réellement un truc qui le faisait triper.

Les heures passaient, mais les grands ne semblaient pas décidés à mettre fin à leurs conversations auxquelles il n’y comprenait pas grand-chose. Il récita cinq « Notre Père » dans sa tête pour qu’ils se décident enfin à rentrer. Ses prières furent vaines, car cela continuait et continuait…

« Maman ?

Oui mon petit chéri ?

Quand est-ce qu’on rentre ?

Bientôt mon chéri, bientôt. Mais va t’allonger sur le lit, je te réveillerai quand on partira.

OK. »

Il alla donc s’allonger quelques instants dans le lit. Il se dit qu’il ne dormirait que quelques minutes afin d’estomper un peu sa fatigue qui devenait de plus en plus pressante. Il ôta simplement ses chaussures et s’allongea, tout habillé qu’il était, dans le lit. Morphée ne tarda pas à l’envelopper dans ses bras. En à peine deux minutes, il trouva le sommeil du juste et dormait la bouche ouverte, la bave lui coulant sur la joue.

Il ouvrit les yeux au bout de quelques minutes selon ses estimations. En réalité, il faisait déjà nuit noire et, se relevant, il observa qu’à côté de lui il y avait son cousin qui avait dormi également là et son frère. Dans l’autre lit, son grand-père ronflait à faire trembler un sourd.
Il jeta un coup d’œil sur l’horloge accrochée au mur, il ne savait pas encore lire l’heure, mais une chose était sûre, plusieurs heures s’étaient écoulée entre le moment où il s’était mis au lit et son réveil. Voilà là un parfait exemple de la relativité des choses : assoupissez-vous une poignée de minutes et vous vous réveillerez bien des heures plus tard. A contrario, dormez douze heures d’affilée et vous vous réveillerez davantage fatigué qu’après une sieste d’une demi-heure. Satané Morphée.

Il se leva, alla dans l’autre chambre vérifier si sa mère dormait là, mais elle n’y était pas. Il sortit dehors vérifier si la voiture de sa mère se trouvait dans le garage, elle n’y était pas. Il se sentit trahi. « Bon Dieu, comment a-t-elle pu me faire cela ? »
Cela signifiait qu’il n’aurait pas le droit à sa balade en ville le lendemain. Les larmes lui montèrent aux yeux.

Il alla aux toilettes qui se trouvaient à côté de la grange, pissa et en sortit. Il était pieds nus, mais il n’en avait pas grand-chose à faire. La boue lui chatouilla les orteils, c’était plutôt agréable.

Il passa le portail et se dirigea vers la maison de ses parents. Il était dans les quatre heures du matin, il faisait plutôt frais, il était pieds nus. C’était l’été, mais la température nocturne n’était pas des plus agréables. Mais cela n’entacha en rien sa détermination. Il comptait à tout prix aller en ville avec sa mère le lendemain.

Sur le trajet, une meute de chiens errants aboya en sa direction et se montra menaçante, mais son courage était décuplé, car il ne pensa qu’au lendemain. Il continua d’avancer tout droit alors même que les chiens aboyaient sur lui et qu’ils se trouvaient à quelques centimètres de lui.
Les chiens lui faisaient habituellement peur. Il avait entendu des tas d’histoires de chiens mangeurs d’hommes. Mais en réalité, il n’était pas certain qu’on ne lui ait pas raconté des cracks. Les adultes font souvent ça. Ils racontent n’importe quoi aux enfants pour les impressionner. Il n’y a rien de plus facilement impressionnable qu’un môme.

Cette épreuve passée, il rentra tranquillement chez lui. La pleine lune éclairait suffisamment pour qu’il y vît quelque chose, car n’allez pas croire que son village était équipé de quelque réverbère que ce fut.
Il accéléra le pas, car le froid commençait à lui faire trembler tout son corps. Il ne voulait pas céder à la tentation de commencer à courir, car, en réalité, il avait un peu peur, mais s’il commençait à courir, pour sûr que la panique allait le gagner. Il s’efforça donc de marcher tranquillement en regardant droit devant lui, il ne fallait surtout pas qu’il se retourne. Il était indubitablement seul, mais il avait une forte impression d’être suivi.
« Tout ça, c’est dans ta tête », répéta-t-il à haute voix plusieurs fois.

Pourtant, arrivé au niveau de la rue où se trouvait sa maison, il commença à prendre ses jambes à son cou. Les derniers mètres semblaient si longs, il était essoufflé et avait terriblement froid.
Arrivé devant son portail, il aperçut quelque chose dans la vigne qui se trouvait dans son jardin. Il ne parvenait pas à distinguer de quoi il s’agissait précisément, car il faisait plutôt sombre et son état mêlant peur et euphorie troublait un peu sa vue.
Puis, soudain, il entendit : « Psst… Hé !

Qui va là ? dit-il.

Psst. »

Il s’approcha un peu de la vigne et là, il faillit tomber à la renverse. Un visage d’homme avec des poils recouvrant tout son visage sur un corps d’araignée regardait en sa direction. Ses yeux brillaient tels ceux d’un chat et il ondulait ses pattes semblant vouloir s’accrocher aux branches. « Psst », fit la bête de nouveau.
Il était complètement tétanisé, il voulait hurler, crier à l’aide, mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Il voulait détaler à toute vitesse, mais il ne parvenait pas à faire le moindre mouvement. Il était paralysé par la peur.

La bête commençait à s’approcher doucement vers lui. Elle lui dit « N’aie pas peur, mon enfant. » C’était très étrange, elle avait la même voix que son frère. Il ne parvenait toujours pas à bouger, ni à émettre le moindre son avec sa bouche. La bête n’était plus qu’à quelques centimètres de lui, quand soudain, il avait récupéré l’usage de ses mouvements et, ni une, ni deux, il s’élança vers les escaliers menant à l’étage de sa maison. Il grimpa les marches deux par deux et, arrivé devant la porte, il tambourina comme un dégénéré.
« Ouvrez-moi, pour l’amour du Christ ! Ouvrez-moi ! »
Sa mère vint lui ouvrir, encore à moitié endormie. « Mais qu’est-ce que tu fais là mon chéri ? »
Il ne répondit rien, il tremblait de peur et de froid. Sa mère l’enveloppa de ses bras et alla le mettre dans son lit.
Il trembla ainsi durant de bonnes minutes avant de trouver de nouveau le sommeil.

Le lendemain, finalement, sa mère avait eu un empêchement et ils n’étaient pas partis en ville. Plus rien n’avait d’importance désormais, il était sûr d’avoir croisé le Diable sur sa route.

Le fils de Satan

Ceci est la suite fictive de la nouvelle "Le fils de Satan" parue dans Le Ragoût du Septuagénaire de Charles Bukowski.

J’ai patienté ainsi durant de longues minutes qui me parurent durer une éternité. Je surveillais régulièrement l’arrivée prochaine de mon père. Néanmoins, la peur et la panique ne me gagnèrent pas. Je devais rester digne. Le chef de la bande, c’était moi.

J’entendis les pas lourds de mon père s’approcher. J’étais toujours au milieu du lit, mais je me suis approché du bord pour surveiller mon père. Je le vis tel un colosse, il tenait une clé à molette dans la main et semblait totalement fou de rage. Ses yeux brûlaient de colère.

« Sors de là, sale fils de pute ! », m’ordonna-t-il. J’ai roulé sur le côté pour me remettre à ma place initiale, au milieu du lit. Mais quand mon père se baissa, son bras était suffisamment long pour m’attraper. Ce qu’il fit. J’ai tenté, en vain, de lui asséner un coup de pied, mais il parvint à l’esquiver. Il m’agrippa de sa main droite et me tira. Je me retrouvais au milieu de ma chambre en une fraction de secondes.

J’étais au sol, il se mit debout et m’accueilli avec un coup de pied entre les côtés, ma respiration fut coupée.
Je tentai de me mettre debout, mais un coup de poing dans l’abdomen vint me remettre au sol.

« Je te tuerai dès que j’en aurai l’occasion, je le jure devant Dieu.

T’auras pas le temps pour ça.

Enfoiré. T’es le pire des pères. »

Il saisit la clé à molette qui gisait sur le sol et m’assena un violent coup au niveau des côtes. Une douleur extrême me gagna. J’étais sûr qu’une cote était fêlée. La douleur était insupportable. Les larmes commencèrent à me monter aux yeux. Mais il n’allait pas avoir le privilège d’avoir mes supplications. Ah ça, non. Un chef de bande se doit de mourir debout.

Il tournait autour de moi tel un catcheur et, avec l’adrénaline, je parvins à me mettre debout. Je vacillais, mais tentai tout de même de lui décrocher une droite au niveau du menton. Il esquiva le coup et je tombais à la renverse.

De nouveau au sol, il m’envoya deux coups de pieds, un dans le dos et l’autre dans le thorax. J’avais du mal à respirer. Je commençai à cracher du sang. La douleur devenait vraiment insupportable. J’étais à deux doigts de tomber dans les pommes.

La colère de mon père ne semblait cependant pas décroître. Son visage commençait à s’empourprer.
« Mon fils ne sera jamais un voyou. Je préfère le tuer de mes propres mains plutôt qu’il devienne un voyou. »

Là-dessus, j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir. C’était probablement ma mère qui venait de rentrer. Je puisai dans mes dernières forces pour crier et l’appeler afin qu’elle me vienne en aide.
D’un pas précipité, elle arriva dans la chambre et dit « Mais qu’est-ce qu’il se passe ici, nom de Dieu ?

Ce qu’il se passe ? Demande à TON fils ce qu’il se passe !

Mais, enfin, tu vas le tuer, arrête ça !

Ce sera peut-être mieux comme ça. »

Ma mère vint s’interposer entre mon bourreau de père et moi. Elle l’intima de s’arrêter. Mais sa colère semblait l’avoir rendu fou.
Elle alla saisir le téléphone, puis appela la police. Entre temps, mon père m’avait gratifié des quelques coups supplémentaires, je commençai à voir flou. Je tournais de l’œil.
La police arriva au bout d’une vingtaine de minutes. Mon père s’était quelque peu apaisé. Il était sorti de la chambre pendant que ma mère me tenait dans les bras et pleurait. Les pompiers étaient également arrivés et je fus pris en charge immédiatement.

Mon père fut embarqué par les flics et il passa la nuit en garde à vue.

Je fus soigné et à mon grand étonnement, je n’avais aucune cote fêlée.

Je n’ai pas revu mon père depuis ce jour. Je savais seulement qu’il avait fait de la prison pour ce fait. Ma mère avait demandé le divorce dans la foulée.

Aujourd’hui, j’ai vraiment envie de le revoir pour lui faire son affaire. J’ai grandi. J’ai pris du muscle et pratique des sports de combats uniquement pour ça…

Le Diable

Photographie d’une autre époque

Je ne me rappelle pas exactement l’âge que j’avais à l’époque. Peut-être dans les dix ans, quelque chose comme ça. J’étais en France depuis trois ou quatre ans. Je retournais, à l’époque, tous les étés en Roumanie, mon pays natal. C’était plutôt cool, jeune, j’adorais y retourner. Je vivais comme un pacha, on m’appelait le « Français », alors qu’en France je n’étais rien de plus que le « Gitan ».

J’avais encore pas mal de famille à l’époque qui était restée en Roumanie. C’était ensuite qu’une vague de départ avait eu lieu. Mes parents et moi étions parmi les premiers à avoir quitté la Roumanie pour aller vivre en France. Aussi, lorsque j’y retournai chaque année, j’étais content comme un parieur ayant misé sur un outsider. J’y retrouvais des oncles, des tantes, des cousins et des cousines. Bref, vous avez pigé, c’était plutôt cool.

J’adorais passer du temps avec mon cousin Bastien. C’était un chic type à l’époque. Maintenant, il est marié et a même une fille. Les choses ont changé.
A l’époque, on marchait des kilomètres pour aller dans un bled où il y avait un coiffeur, des magasins de vêtements et il y avait même une pizzeria. Avec les quelques euros que mes parents me filaient, nous étions les rois du pétrole. C’était cool, je veux dire, c’était vraiment cool cette époque.

Je me souviens d’une fois où, après avoir mangé une grosse pizza à deux, mon cousin avait eu l’idée d’aller se faire coiffer et de se faire deux traits au niveau de sa tempe gauche. Sur le chemin du retour, par un cagnard improbable, un véhicule s’arrêta à notre niveau. C’était le prêtre du village. Il avait reconnu Bastien. Nous étions, par un pur hasard, juste devant une espèce de club de strip-tease. Le hasard fait parfois mal les choses.

« Que Dieu vous bénisse les mômes. Qu’est-ce ce que vous faites là par ce temps ? Vous allez avoir un malaise.

Euh… Bonjour mon Père, bafouilla mon cousin. Bah on était en ville et là on rentre.

A pieds ? Vous êtes fous ? Allez, montez.

Merci mon Père, répondîmes-nous en chœur. »
C’était sympa parce que la route qu’il nous restait était encore longue. Mais notre réputation en eut pris un coup. Nous étions désormais catalogués comme les deux gamins qui rodaient autour des clubs de strip-tease.
Depuis ce temps, nous ne rodons plus aux alentours, nous les visitons. Mais ça, c’est une autre histoire.

Bref, avec mon cousin, nous voulions un truc pour nous amuser. Il connaissait un vieux du village qui voulait donner des petits chiots. Aussi décidâmes-nous de nous rendre chez lui pour voir ce qu’il en était.

« Bonjour M’sieur, z’avez des chiots à donner ?

Bonjour les mômes. Oui, précisément. Vous voulez les voir ?

Oh oui, ce serait super chouette. N’est-ce pas Dmitri ?

Oh pour sûr m’sieur. Pour sûr. »

Nous suivîmes ce vieux monsieur vers une espèce d’étable où étaient entreposés, en plus d’une vache et d’un cheval, cinq petits chiots dans un minuscule enclos.
Petite aparté, lorsque j’étais jeune, j’avais toujours vu une vache et un cheval dans l’étable. Aussi, il était tout à fait naturel pour moi de penser que le cheval était le mâle de la vache. Bon sang que je pouvais être naïf à cette époque.

Tous les chiots étaient tous plus mignons les uns que les autres. Nous voulions tous les prendre, mais savions pertinemment qu’il s’agissait d’une terrible idée.
Le vieux nous laissa quelque temps avec les chiots pour qu’on prenne le temps de nous décider. Nous nous mîmes d’accord sur une petite boule de poils de couleur marron et blanc. Il était terriblement mignon.

Nous fîmes part de notre choix au vieux mais il nous expliqua qu’un problème se présentait.
« Ah ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il est encore trop petit. Mais dans une semaine et demie ou deux, il est à vous.

Ah ! » fîmes-nous l’air triste.

Tant pis, nous rebroussâmes chemin et nous dirigeâmes vers le domicile de mon cousin. Comme nous n’avions pas vu le temps passer, il faisait déjà presque nuit. Enfin, je veux dire, vraiment nuit, pas comme à Paris où on a du mal à distinguer le jour de la nuit tellement c’est éclairé.

Heureusement mon cousin connaissait les chemins comme sa poche et nous nous dirigeâmes à pas de course vers chez lui. Aucun de nous deux n’osa avouer que nous avions la trouille. Pourtant, cela se voyait que nous avions les chocottes tous deux.

Nous avions un sacré challenge à franchir. En effet, la maison de mon cousin était bordée par deux cimetières : l’un pour les orthodoxes et l’autre pour les catholiques. Non pas que nous crûmes à toutes ces sottises de morts-vivants ou quoi, mais bon, il y a meilleur endroit pour se balader la nuit qu’un cimetière.

Lorsque nous fûmes aux abords du premier cimetière, celui des catholiques, il faisait noir comme pas possible. Seule la lune nous délivrait son peu de lumière. Pourtant, nous vîmes un type venir en notre direction. Plus il s’approchait, plus j’avais les chocottes. Mon cousin aussi, mais il ne me l’avoua que bien plus tard.

Lorsqu’il fut qu’à quelques mètres, nous vîmes qu’il portait un vélo sur ses épaules. Nous nous regardâmes avec mon cousin et fronçâmes les sourcils.

Il était maintenant à notre niveau, mais nous ne parvînmes pas à distinguer son visage, encore moins à l’identifier. Mon cousin et moi dîmes : « Bonsoir m’sieur ! », mais le type n’eut aucune réaction et nous eûmes aucune réponse. C’est comme s’il ne nous avait pas vu.

Peu importait, nous continuâmes notre route, accélérant le pas de plus en plus vite. Encore une fois, ni mon cousin, ni moi voulions montre un quelconque signe de frayeur, à cet âge, la dignité était quelque chose de très important. Enfin…

Nous nous regardâmes avec mon cousin, puis prîmes tout notre courage entre nos mains pour nous retourner et voir où était le type.

Nous pivotâmes et, bon Dieu, le type s’était évaporé. Il avait tout bonnement disparu. Nulle trace de lui. C’était tout simplement impossible. Il n’avait nulle part où aller. L’entrée du cimetière était fermée, aucune habitation aux alentours et la route ne permettait pas de bifurquer.

Nous nous regardâmes de nouveau mon cousin et moi et, ni une, ni deux, il prit ses jambes à son cou et couru comme un dératé. Je fis de même, toute dignité mise de côté, mais mon cousin était plus athlétique que moi, il courait vite ce con. Je tentais désespérément de suivre son allure mais il allait trop vite.

Il prenait de plus en plus de distance sur moi, j’avais les larmes aux yeux, mais je ne pouvais pas pleurer, j’estimais ne pas être une lopette, tout de même.

Bastien était évidemment arrivé avant moi chez lui et lorsque je l’y rejoignis, nous étions essoufflés comme pas possible. Nous nous contentâmes de nous regarder sans rien dire et rentrâmes chez lui.

Lorsque nous eûmes repris nos esprits, il osa : « Tu te rends compte mec, on vient de croiser le Diable.

Ouais.

Ouais. »

Nous allâmes nous coucher sans même regarder la télé. C’était quelque chose.

Folie

Prendre de la hauteur.

Les premiers photons de lumière virent me baiser le visage aux aurores, ce qui eut pour immédiate conséquence de me réveiller. Déboussolé, je levai ma tête et regardai autour de moi. J’étais au beau milieu d’un champ lexical. « Où suis-je ? La levrette est-elle la femme du lièvre ? » furent les deux premières questions qui me virent à l’esprit.


Dieu soit loué, j’entendis le bruit de véhicules qui passaient au loin. La civilisation était proche. Aussi, me devais-je de prendre la direction opposée. Il est important de savoir où l’on va, surtout quand on ignore totalement d’où l’on vient et que l’endroit dans lequel on se trouve n’a pas le moindre distributeur Selecta. Savoir où l’on va ne suffit pas, il est important de vérifier qu’on s’est acquitté du prix du billet pour pouvoir voyager jusqu’au bout, n’est-ce pas ? Personnellement, je suis resquilleur de maire en fils et faire la plonge ne m’a jamais posé de problème, à condition qu’il ne faille pas que je mette mon tee-shirt à l’envers.
Arrivé à bon porc, je commençais à tailler le bout de gras avec un phalène qui ne cessait de me taquiner, s’imaginant sans doute que j’étais une truffe. Il volait pour vivre m’a-t-il dit, je trouvai cela d’une désobligeance sans égale et ne trouvai rien de mieux à lui répondre que je vivais pour voler. Tout ceci n’avait ni queue, ni tête et parmi les femmes, d’aucunes pensaient que je n’étais qu’un cochon qui avais l’appât de leur lait maternel. Je n’étais, naturellement, pas d’accord avec tout cela, car il m’était évident que je vivais pour la Mère Patrie et que je mourrai pour la Mère Patrie.


Lassé, je fis mes adieux au lépidoptère et il me souhaita bon vent. J’ignorai toujours où j’allais. Mais comme disait mon père : « si tu ne sais pas d’où tu viens, regarde où tu vas »… ou alors l’inverse, je ne suis plus aussi sûr, des bribes spirituelles s’étaient perdues sur le chemin de ma vie.
Alors où allai-je ? Alors où vais-je ? Allez, venez ! Je vais vous emmener avec moi à la sublime colline des jours heureux, où on se gavera de cookies astraux tout en faisant passer nos joyeuses peines à coup de gorgées de vin de la jeunesse. Le temps panse tout, on n’y pense pas assez et quand on s’en rend compte, il est, hélas, bien trop tard pour en profiter. La jeunesse s’en va, le vin reste ici, on ne veut plus de bonbons, on veut que des morts ressuscitent.


De quel droit ? De quel droit mes êtres chers s’en sont-ils allés ? De quel droit m’ont-ils laissé ici ? Seul et dépourvu de toute distraction, souffrant de sévères carences affectives. De quel droit ? L’amour s’en va et il revient, il revient sans cesse, mais sans cesse affaibli tel le soldat après avoir passé des mois au front. Front, j’y faisais à l’amour, jusqu’à l’instant où son regard se plongea dans le mien et que plus rien n’avait dès lors d’importance. Mais qui suis-je pour parler d’amour après tout ? Ce sentiment d’une noblesse à toute épreuve qui n’a d’égal que le diabète jusqu’à ce que l’on en vienne à sucrer les fraises. L’amour est beau, l’amour est grand, l’amour fut cher à vos parents, mais qu’en avez-vous fait, parias que vous êtes ? Qu’en ai-je fait, d’ailleurs ? Où est-il mon amour ? Où qu’il soit, je le traquerai comme Bryan Mills et lui ferai sa peau avec des fleurs, j’arriverai et lui dirai : « N’a-t-on pas le droit à une seconde quinzième chance ? ». Ce à quoi il répondrait par un haussement d’épaules qui en dirait long… très long.


Alors bientôt, le tic-tac de l’horloge sonnera le glas du voyage et celui-ci commence généralement bien, mais finit toujours mal. Quand on regarde dans le rétroviseur du passé, que reste-t-il si ce n’est des souvenirs disloqués imbibés d’une folie ? Ordinaire est la mienne et je ne vous ai rien conté de spécial. Mais après tout, qui est le fou ? Moi ou le lecteur qui s’est rendu compte que tout ceci n’avait de sens dès le départ, mais qui a poursuivi sa lecture ? Alors ? Voulez-vous bien éclairer ma verte lanterne ?

Elle est partie

Ce matin-là, j’ai tout de suite senti qu’un truc clochait… Enfin, je veux dire que tout était comme d’habitude quand j’ai ouvert mes yeux : ma maman était allongée à côté de moi dans le lit, elle me tournait le dos, les volets étaient entrouverts, mon doudou n’avait pas bougé d’entre mes bras (en même temps, mon doudou est l’être qui m’aime le plus au monde, donc pas étonnant qu’il ne bouge pas d’un poil d’entre mes bras). Bref, tout était à sa place, sauf mon papa.
A ma grande surprise, il n’était pas à sa place habituelle : juste à ma droite… puisque ma maman n’aimait dormir qu’à gauche du lit.

Je dors encore avec mon papa et ma maman non pas parce que j’ai peur de dormir seule, oh non, loin de là, je suis une grande fille maintenant… mais c’est parce que mon papa et ma maman ont peur que je dorme toute seule, peur que je fasse des cauchemars.
Et puis, il faut dire que mon tonton m’a dit une fois comme ça « la nuit, les fantômes qu’il y a dans ta chambre vont te manger ». Bien sûr, je ne l’ai pas cru, il raconte souvent des craques mon tonton, je ne me fais pas avoir si facilement, sauf que je préfère ne pas prendre le risque, vous feriez pareil si vous étiez à ma place.

Mais alors, où c’est qu’il était mon papa ? Ah ! Je sais ! Il doit être en train de faire pipi aux toilettes. Des fois, ça lui arrive d’aller comme ça, dans la nuit, faire pipi. Une fois même qu’il a fait caca, je le sais parce qu’il a oublié de fermer la porte et que j’ai entendu le bruit de l’étron tomber dans l’eau.
Pour vérifier ma théorie, je suis restée dans le lit à attendre son retour. J’ai attendu, j’ai attendu… puis, soudain, j’ai entendu du bruit en dehors de la chambre, mais ce n’était pas mon papa. Non, c’était ma mamie qui a crié : « Debout ma petite chérie, c’est l’heure d’aller à l’école.

J’veux pas y aller ! » que j’ai répondu comme ça. Puis ma mamie est rentrée dans la chambre et m’a prise dans ses bras, j’étais ronchonne.

Elle m’a délicatement déposée à l’entrée de la salle de bain pour que je passe de l’eau sur mon visage. Ma mamie, elle dit toujours que tant qu’on ne se passe pas de l’eau sur son visage le matin, on embrasse le derrière de toutes les personnes qu’on croise. Moi, je sais que c’est faux, mais bon, je ne préfère pas prendre de risque, je ne veux embrasser le derrière de personne.
Une fois cela fait, je suis sortie de la salle de bain sur la pointe des pieds, j’essayais de ne pas faire de bruit en vue de surprendre ma mamie pour lui faire peur. J’adore faire ça, les grands ont toujours peur mais font toujours semblant de ne pas avoir eu peur, mais moi je sais bien qu’ils ont peur, je me fais pas avoir si facilement hein. Malheureusement pour moi, ma mamie n’était plus dans les parages. J’ai donc descendu doucement les marches pour arriver dans le salon, au rez-de-chaussée.

Là, j’ai retrouvé mon papa. Il était allongé sur le canapé, les yeux grands ouverts, rouges… Visiblement, il avait passé une mauvaise nuit.
Il a levé les yeux vers moi, il avait le regard livide… il avait décidément passé une très sale nuit.

« Bonjour mon papa ! Tu es tombé du lit ? » que je lui ai demandé comme ça. Un simple soupir m’a été adressé en guise de réponse. J’ai aussitôt pensé que j’avais fait une bêtise… j’ai réfléchi, mais aussi loin que je m’en souvenais, je n’avais pas fait de nouvelle bêtise depuis la dernière fois que mon papa m’avait grondée.
J’ai cherché ma mamie du regard dans le salon, mais elle n’était pas là. Je suis remonté dans la chambre de mes parents et j’ai demandé à ma maman si papa était malade. Elle m’a dit que c’était le cas. J’ai haussé les épaules.

Je suis redescendu dans le salon, mais je ne me suis pas approché de mon papa. À chaque fois que mon papa était malade, il refusait catégoriquement que je l’approche. Ma mamie elle m’a dit une fois que c’est parce que les microbes de mon papa viennent sur moi et c’est moi qui serai malade après. Bon, j’ai pas tout compris, mais avec tout ce que mon papa a eu, je sais que lui et ma mamie en connaissent un rayon en maladies, microbes et autres bactéries.

Je me suis dirigée vers la cuisine où mon bol de céréales m’attendait. Ma mamie est vraiment top, elle s’occupe de tout, je m’occupe de rien, si ce n’est que je dois avaler mon bol de céréales jusqu’à la dernière goûte. Sinon, ma mamie me gronde et elle me dit que je resterai petite toute ma vie. Mais moi, je ne veux pas rester petite toute ma vie, sinon mes copines, elles vont sacrément se moquer de moi.

Un fois mes céréales avalées, ma mamie est venue me sommer de me dépêcher sinon, je serai en retard. Moi, je n’aime pas être en retard.
Je suis montée dans ma chambre pour m’habiller. Les vêtements que ma mamie m’a préparé ne me plaisaient pas, mais je n’ai rien dit, j’ai pris sur moi. C’était, selon moi, une preuve de maturité.

Mon sac sur le dos, j’étais en route pour l’école. C’était ma mamie qui m’avait emmenée à l’école parce que mon papa était malade et ma maman dormait encore.
Devant l’école, j’ai fait un bisou à ma mamie et lui ai fait promettre qu’elle reviendrait me chercher le soir.

La journée d’école ne mérite pas que je m’attarde dessus : c’était un jour comme les autres. La maîtresse a essayé de nous apprendre des trucs, pendant que nous, les écoliers, on essayait de bavarder sans se faire prendre.

Le soir, ma mamie m’attendait devant l’école. En rentrant, elle m’a proposé de m’acheter un bonbon chez l’épicier du coin. Naturellement, j’ai accepté. Mais je sentais qu’il y avait un truc qui clochait. Ma mamie est gentille avec moi, là n’est pas la question, c’est même, je dirais, la meilleure mamie au monde, seulement, elle n’acceptait jamais de m’acheter des bonbons, contrairement à mon papa.

Arrivées à la maison, j’ai constaté que mon papa n’était pas dans le salon, alors même que sa voiture blanche licorne était garée dans la rue. J’ai demandé à ma mamie où il était, elle m’a répondu qu’il se reposait dans la chambre.
Je suis montée derechef vérifier cela. Et, en effet, mon papa était calfeutré dans la chambre, tel un reclus, volets fermés, lumière éteinte.

Je suis ressorti sur la pointe des pieds car il semblait dormir. Je suis descendu m’inquiéter auprès de ma mamie de quoi il en retournait, quelle maladie pouvait bien priver mon papa de sa sortie quotidienne au troquet du coin. Il était habituellement rudement assidu mon papa, de ce côté-là.

Ma mamie m’a dit de ne pas m’inquiéter car il ne s’agissait de rien de grave, qu’il était simplement très fatigué et qu’il avait besoin de se reposer, que c’était donc logique que les volets soient fermés et la lumière éteinte. « D’accord » que j’ai répondu. Puis je lui ai demandé à quelle heure ma maman rentrerait du travail. Et là, tout d’un coup, ma mamie a fondu en larmes. Elle m’a ordonné d’arrêter de poser des questions à tout bout de champ sinon elle me rosserait comme il fallait et que je ferais mieux d’aller faire mes devoirs. Je n’ai pas trop compris ce qu’il m’arrivait et j’ai senti qu’il était relativement risqué de chercher à comprendre. Aussi, j’ai préféré baisser la tête et m’en aller dans ma chambre, pour m’installer à mon bureau et me mettre à ma besogne. Je trouvais cela injuste, mais je n’ai rien dit… après tout, Dieu reconnaîtra les siens, n’est-il pas ?

Alors que j’essayais de faire mes fameux devoirs sans trop m’apitoyer sur mon sort, j’ai entendu ma mamie qui arrivait. Elle a passé le seuil de la porte et je lui ai aussitôt fait remarquer que j’étais en train de faire précisément ce qu’elle m’avait ordonné… je sentais que ça allait me retomber dessus cette histoire, comme toujours. Dans cette maison, je faisais la coupable idéale.

Ma mamie avait le visage boursouflé et les yeux rouges. Elle semblait, elle aussi, très fatiguée et elle avait visiblement pleuré, et pas qu’un peu. Elle s’est approchée de moi, m’a caressé de sa main droite mon dos. J’adore quand elle fait cela, je me sens tellement en sécurité. J’ai souri.
Puis elle m’a dit « Il faut que je te dise quelque chose ma petite chérie… ».

Elle m’a raconté comment mon papa et ma maman se sont disputés cette nuit… je trouvais cela étrange car je n’avais rien entendu. Elle m’a raconté que mon papa est descendu dormir seul sur le canapé. Elle m’a raconté que ma maman a pris des affaires et est partie peu de temps après que je m’en sois allée à l’école. Elle m’a raconté que ma maman ne reviendrait pas ce soir. Elle m’a raconté que ma maman reviendrait me voir bientôt, mais qu’elle ne resterait pas dormir à la maison.

Je suis restée bouche bée. Cela fait une quantité d’informations trop importante à traiter par mon petit cerveau. J’essayais tant bien que mal de faire le tri dans ma tête mais cela était terriblement confus.
J’ai tout de même réussi à articuler « Mais… pourquoi ? ». Ma mamie est restée sans rien dire pendant un petit moment, elle semblait réfléchir puis elle m’a dit « Parce que ton papa et ta maman ne s’aiment plus ».

En voilà une histoire… Pourquoi faut-il toujours que les grandes personnes compliquent-elles tout ? Un papa doit aimer une maman pour toujours non ? Et inversement. Alors pourquoi arrêteraient-ils de s’aimer tout d’un coup ? Il y a quand même des choses qu’il faudrait qu’on m’explique parce que ou je n’ai pas toutes les pièces du puzzle pour tout comprendre, ou bien le monde ne tourne pas rond.

J’avais beau essayer de comprendre, je n’y parvins pas sur le coup. Mais le fatal constat était bel et bien celui-là : je ne trouverais plus jamais ma maman à la maison, allongée à côté de mon papa et regardant la télévision.

J’ai mis un peu de temps à m’en remettre d’un part, et d’autre part, à comprendre. Au travers de bribes de conversations que j’entendais de-ci de-là, je compris que l’amour entre mon papa et ma maman disparut à la suite d’une querelle sur un sujet qui m’est encore inconnu. « C’est complètement dingo ! Cela ne tient donc qu’à ça l’amour ? » j’ai pensé.

Pendant les semaines qui suivirent cet événement, mon papa alternait ses humeurs entre la colère, la tristesse et l’envie de se suicider.
Ma maman, quant à elle, m’appelait régulièrement pour prendre de mes nouvelles, sans oublier de demander des nouvelles « de la maison » comme elle disait. Certains week-ends même, elle m’emmenait chez elle, dans sa nouvelle maison à elle.
Au début, c’était chouette car ma maman, comme elle n’avait pas grand-chose dans sa nouvelle maison (même pas la télévision, c’est vous dire), m’emmenait tout le temps au cinéma, puis au Mac Donald’s, et même qu’elle m’achetait tout plein de jouets.
Mais plus le temps passait, moins les sorties étaient fréquentes, moins les cadeaux étaient nombreux… si bien que, à la fin, les visites chez ma maman se résumait à cela : elle me questionnait durant un quart d’heure sur l’école, sur comment j’allais et surtout sur la maison de mon papa et sur mon papa, puis elle m’installait devant la télévision qu’elle avait achetée entre temps et m’ordonnait d’être sage, car si je ne l’étais pas, elle cesserait de m’aimer aussitôt.

Petit à petit, mon papa s’est senti mieux, il réussissait tant bien que mal à tourner la page. Au début, il n’arrêtait pas de demander à haute voix « Mais qu’est-ce qui a bien pu lui prendre ? ». Il parlait de ma maman, cela va de soi. Puis, il a cessé de chercher à comprendre. Parfois, certaines choses n’ont pas d’explication rationnelle.

Aujourd’hui, mon papa ne parle à ma maman que pour des questions pratiques : lorsque je vais la voir ou lorsque ma maman veut me parler. Ils se sont promis amour dans le meilleur et dans le pire… que de vaines paroles. Ma maman ne me manque pas particulièrement, car je la vois assez régulièrement… Non, ce qui me manque c’est mon papa ET ma maman, ensembles.
Aussi, je me suis promis que quand je serai grande, je n’essayerai pas de comprendre tout ça… mais que quand je donnerai ma parole, je m’y tiendrai.

Le jardin d’Eden

« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
»
[…]
C’est seulement dans la Genèse 2, au verset 7 que les problèmes commencent à apparaître. Je cite : « L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » Non, mais sans déconner, qu’est-ce qui lui a pris au bon Dieu de créer l’homme ?

Et comme les problèmes n’arrivent jamais seuls, ne voilà-t-il pas que Dieu décide de dupliquer son erreur : « L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. » Bon, on peut comprendre que ce ne doit pas être joyeux-joyeux de se balader tout seul, tout nu au Jardin d’Eden, donc pourquoi ne pas lui créer de la compagnie. Dieu décida alors de créer les animaux.

Mais visiblement l’homme en voulait davantage. Aussi, Dieu décida-t-il de créer la femme : « L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme. »
Bon, faut dire que pour créer la femme, Dieu utilisa une côte prise à l’homme… En même temps, c’est logique, il a voulu faire un autre être, similaire au premier. Quoi de mieux alors que d’utiliser une partie de celui-ci pour en créer un second ?

Une fois l’alchimie divine effectuée, voici que la femme prit vie. Dieu la ramena vers l’homme.
L’homme, que Dieu avait décidé d’appeler Adam, fut estomaqué à la vue de la femme.
Elle s’approcha doucement d’Adam, tous deux le corps nu comme un ver, et lui dit d’une voix tendre : « Bonjour Monsieur. Auriez-vous l’amabilité de me dire ce que je fais ici ?

Bonjour Madame. Je me nomme Adam. Nous sommes ici au Paradis. Ce lieu porte le doux nom de Jardin d’Eden. Toutes les bonnes choses y sont réunies, nul mal existe en ce lieu.

Comment me nommé-je ?

Tu porteras le nom d’Ève et tu seras ma femme. D’une de mes côtes tu as été conçue. »
Ève, l’air totalement abasourdi, fit « oui » de haut en bas avec la tête.
Adam surenchérit : « Tout ceci est notre demeure. Nous sommes, ici, chez nous. Nous pouvons disposer de tout ce qui s’y trouve, ou presque. Le seul arbre qui nous est défendu est l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Il nous est formellement interdit d’y toucher sous peine de mort. »

Ève regarda autour d’elle, puis dit : « L’immensité et la diversité de tout ce qui nous entoure fait que même si nous voulions goûter au fruit de chaque arbre nous entourant, il nous faudrait mille et une vies entières avant d’en arriver à l’arbre défendu.

En vérité… en vérité je te le dis, Ève, nous aurons bien d’autres choses à faire que de goûter au fruit de l’arbre défendu. »
Le coquin vous dîtes-vous, n’y pensez même pas ! On vous a dit que les locataires du Jardin d’Eden étaient dénués de la connaissance du bien et du mal. Adam disait cela en toute innocence.

Le temps passait, les jours se ressemblaient les uns les autres. Une certaine routine, bien qu’agréable, commençait par s’installer. Mais n’allez pas imaginer une seule seconde que cette routine posait un quelconque problème à nos deux tourtereaux, loin de là.
Seulement, l’engrenage dans lequel on se prend lorsque la routine s’installe entraine une baisse de la vigilance. Déjà qu’au Jardin d’Eden, on n’a rien à craindre, alors si en plus notre perception des choses est altérée par la routine, bonjour les dégâts.

Le dégât en question se matérialisa sous la forme d’un serpent. Il profita d’un instant où Ève se retrouva seule, à contempler l’horizon et à songer à la beauté de ce jardin, pour l’aborder.
Il réussit à la convaincre, sans grande peine, à manger le fruit de l’arbre défendu par ces quelques mots : « Vous ne mourrez point, mais Dieu sait que, le jour où vous y goûterez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

Elle entendit Adam l’appeler au loin, se retourna et s’aperçut soudain que le serpent s’était volatilisé. « J’arrive », cria-t-elle en direction d’Adam.
Durant cette journée comme les autres en apparence, elle ne cessa de songer à ce que le serpent lui avait dit. Elle voulait en faire part à Adam, mais n’osait pas.

Durant les jours qui suivirent, elle s’arrêtait sans cesse devant l’arbre du fruit défendu et le contempla longuement. Elle ne parvenait pas à se décider d’en parler à Adam.
C’est seulement au bout du 7ème jour qu’elle trouva le courage d’aborder le sujet avec lui.

Tous deux étaient assis sur un banc, à regarder deux papillons voler autour l’un de l’autre. Elle se lança : « Adam ?

Oui, ma chère Ève ?

Puis-je te poser une question qui me tourmente depuis une semaine maintenant ?

Naturellement. »
Elle lui conta alors sa rencontre avec « un animal » (elle resta volontairement muette sur le fait qu’il s’agissait d’un serpent) et lui indiqua ce que ce dernier lui avait porté à sa connaissance. Elle débitait les mots comme une personne qui avait besoin d’avouer quelque chose.

À la fin de son récit, Adam resta bouche-bée quelques secondes. Il ne savait quoi répondre. Elle l’intima de dire quelque chose.
« Écoute, Ève, je ne sais pas quoi te répondre… Mais sois bien consciente que toucher au fruit de l’arbre est la seule chose que Dieu, notre Père, nous ait défendu.

Je le sais bien. Mais, n’est-ce pas justement pour nous empêcher d’accéder à la connaissance ? Cette connaissance qui n’a aucune limite.

J’ignore ce que notre Père a voulu empêcher ou non. Je sais seulement qu’il vaut mieux lui obéir. Le contrarier est la dernière chose que je souhaite.

Mais… ne ressens-tu pas une certaine soif de connaissance ? Une certaine faim ? Et cette merveilleuse pomme peut assouvir cette soif et cette faim.

Bon, autant te le dire tout de suite, ma chère Ève, ce sera sans moi. Hors de question que cette pomme touche mes lèvres.

Mais enfin, Adam. Je t’en prie, ne sois pas aussi catégorique. Je ne te demande qu’une seule chose, c’est d’y réfléchir.

Pourquoi n’y goûtes-tu pas toi-même à cette pomme qui te promet une connaissance infinie ?

Évidemment que je vais y goûter. Seulement, je ne veux pas être seule à en disposer.

Ne compte pas sur moi, Ève.

De toute manière, Dieu, notre Père, n’en saura rien.

Non, Ève, c’est un non définitif. Rien, ni personne ne pourra me faire changer d’avis. »

Ainsi s’acheva leur discussion. Ève se sentait à la fois soulagée d’en avoir parlé à Adam, et à la fois écœurée qu’il n’adhère pas à son projet.

Adam, quant à lui, se sentait terriblement troublé. Cela avait réveillé en lui une curiosité folle vis-à-vis de ce fruit, de cette connaissance qu’il est censé refermer, mais et surtout, des conséquences que le fait d’y goûter pourrait avoir.

Les jours s’enchaînaient et se ressemblaient les uns les autres. Adam finit par oublier la discussion qu’il avait eu avec Ève au sujet du fruit défendu.

Un matin, alors qu’Adam était encore couché, Ève décida d’aller se promener près d’une cascade d’une eau pure et limpide.
Elle se posa sur un rocher humide pour contempler l’horizon. La beauté de l’endroit, la beauté du moment était à couper le souffle.

Captivée par cette splendeur, elle ne prêta pas attention au serpent qui s’approchait lentement du rocher sur lequel elle était posée. Lorsqu’il fut à sa hauteur, il siffla, ce qui surpris grandement Ève. À tel point que celle-ci chuta dudit rocher et sa tête vint heurter le sol, quelques mètres plus bas. Elle perdit connaissance instantanément.

De son côté, Adam ouvrit à peine les yeux lorsqu’il remarqua qu’Ève n’était pas à ses côtés. Il l’appela à haute voix, par trois fois. Aucune réponse.
Il commençait à s’inquiéter, car ce n’était nullement dans les habitudes d’Ève que de partir de si bonne heure.
Il la chercha du regard autour de lui, mais ne vit rien.

Il se rappela alors la discussion qu’ils avaient eu jadis. Il fit immédiatement le lien entre sa disparition et la volonté d’Ève de goûter au fruit de la connaissance.
Il en était sûr : elle ne pouvait être que près de l’arbre.
En toute hâte, il se dirigea vers celui-ci.

Malgré sa grande précipitation, il aperçut tout de même le corps allongé et inerte d’Ève, en bas du rocher.
Il enjamba les quelques mètres qui les séparaient en un rien de temps et, lorsqu’il fut à son niveau, il se pencha pour la prendre dans ses bras.

Il la secoua et cria son nom, mais en vain, Ève ne présentait pas le moindre signe de vie.
Il posa sa tête sur sa poitrine, son cœur continuait de battre. Il fut légèrement soulagé.

Ne voyant aucune réaction de la part d’Ève à toutes ses tentatives, une certaine panique commençait à le gagner. Il ne savait que faire.
Les larmes commencèrent à couler sur ses joues. Puis, il commença à sangloter bruyamment.
Levant les mains, il implora Dieu de lui venir en aide. Mais il ne reçut, là encore, aucune réponse.

Au bout d’un certain temps, il entendu un « Pssst » qui semblait venir de derrière le rocher.
Quelques instants après, de nouveau « Pssst »…

« Qui va là ? » dit Adam « Est-ce vous Dieu, mon Père ? »

« Pssst »

« Hé ho ! »

Il vit doucement apparaître le serpent. Adam fut grandement surpris lorsqu’il l’aperçut. La première chose qui le marqua fut la splendeur de la peau du serpent. Il la trouva magnifique.

Le serpent s’approcha plus près de lui et lui dit : « Vous êtes désespéré, mon enfant ?

Mon enfant ? Est-ce vous, Dieu ?

Non, mon enfant, non. Je suis simplement quelqu’un qui te veut du bien… Pssst.

Vous m’en voyez navré, mais je n’ai pas le temps de discuter avec vous. Ma femme, que voici (il souleva légèrement Ève en la direction du serpent), est inerte.

Je le sais. Figurez-vous que je peux même vous aider.

Ah oui ? Et comment comptez-vous m’aider ? »

Le serpent s’approcha encore plus près d’Adam, tellement près qu’il n’avait maintenant besoin que de chuchoter pour se faire entendre. Il fixa Adam et lui dit : « Tout ce que vous avez à faire pour sauver votre femme est de goûter au fruit du savoir. Ainsi, vous aurez la connaissance pour réanimer votre chère épouse.

Mais, enfin, il m’est impossible de faire une telle chose. Dieu, notre Père, nous a strictement interdit d’y goûter.

Mon enfant, comprenez que Dieu vous a dit tout cela dans un contexte tout autre. Là, il s’agit d’une situation d’une urgence extrême. La vie de votre bien-aimée est en jeu. Il vous faut agir rapidement.

Mais comment puis-je être certain que je serai en mesure de la sauver ?

Vous ne le pouvez pas, vous devez me croire sur parole.

Mais… »
Un long silence assourdissant s’ensuivit, on n’entendait que l’eau se déverser en contrebas et des chants d’oiseaux au loin.

Au bout d’un certain temps, Adam posa le corps rigide d’Ève à terre, il se leva brusquement et se dirigea tout droit vers l’arbre de la connaissance.
Lorsqu’il fut arrivé, il tendit sa main pour attraper cette fameuse pomme de la connaissance. Il l’agrippa et la décrocha de l’arbre. Il la scruta un moment, puis la dirigea vers sa bouche et fit un croc vigoureux dedans.

A ce moment-là, plus rien. Un voile d’un noir intégral le saisit.

Il revint à lui au bout d’un certain temps. Il ne saurait absolument pas estimer le temps qui séparait son réveil du moment où il avait croqué dans la pomme. Il était profondément confus.

Il tenait une faux à la main. Les rayons du soleil lui brûlaient la nuque, il faisait une chaleur de bêtes.
On entendait le chant des grillons en fond sonore. Il avait faim, il avait soif.

Il se retourna et aperçut Ève, au loin, sur le perron d’une vieille maison. Elle lui fit signe de la main et cria en sa direction : « Bon, tu te magnes, on ne va pas y passer la journée ! Il faut également que tu répares l’encadrement de la porte de l’entrée ! »…
Bon Dieu, c’est donc ça, l’Enfer ?

Comique

J’étais au collège à cette époque. J’étais plutôt introverti puisque j’étais laid comme un pou. Il est vrai que cela n’a pas changé des masses depuis.
Sandra était une belle blonde aux cheveux ondulés. Bon Dieu qu’elle me plaisait. J’éprouvais un amour incommensurable pour elle, mais, comme c’est souvent le cas, ce n’était nullement réciproque. Tant pis, il m’en fallait davantage pour me rebuter.
Plus le temps passait, moins j’avais le courage de lui avouer mes sentiments. Mais, un jour, alors que j’avais fait une rédaction du tonnerre et que la professeure m’avait félicité devant toute la classe, je décidai que le soir venu, à la sortie, j’allais la mettre au courant de ce qu’il en était.
Ainsi, lorsqu’à 16h30 notre liberté nous fut rendue, je m’empressai d’empaqueter mes affaires et de sortir parmi les premiers. Sandra était plutôt mollassonne. Elle sortait toujours parmi les derniers.
Lorsqu’elle eut franchi le pas de la porte de la salle de classe, je me présentai devant elle avec le sourire d’un gagnant au loto :
« Salut Sandra ! » que je lui balançai comme ça.
« Kess tu veux Dmitri ?

Ecoute Sandra, y’a un truc que j’voulais te dire depuis pas mal de temps.

Quoi ça ? Qu’c’est pas toi qu’a rédigé le devoir que Madame Laurette nous a donné ? Haha.

Heu ? Non, c’est pas vraiment ça qu’j’voulais te dire.

Bah ! Vas-y, accouche alors, j’ai pas toute la nuit moi !

Bah écoute, je t’aime ! », que je lui dis. Puis, sans attendre une réaction de sa part, je décampai à toute allure.
Le lendemain, avant d’arriver en classe, je m’étais fait des tas de films dans ma tête : que j’allais arriver dans la cour de récréation et qu’elle allait se mettre à genoux et me dire « Moi aussi je t’aime Dmitri ! » ; ou alors, que ses copines allaient me toiser du regard en disant tout bas « Elle a drôlement de la chance cette Sandra ! »
Lorsque je me pointai donc dans la cour, ce qu’il se passa n’était pas vraiment ce à quoi je m’étais attendu. Sandra et ses copines me toisèrent effectivement du regard, mais lorsque je m’approchai d’elles, Sandra lâcha « Tiens, v’là Fantski, le comique ! »
A la suite de quoi, je devins rouge comme une tomate et pris mes jambes à mon cou pour aller chialer dans les toilettes.
Avec les années qui me séparent de cette histoire, je ne cesse de me dire que si Sandra avait accepté mes avances, je n’en serai pas là où je suis maintenant… triste, pauvre et avec une haine profonde envers la gente féminine.

Cette fois-ci, c’est la bonne

Tom aimait la vie, de manière générale. Tom était ce qu’on peut appeler communément un bon vivant. Mais Tom était, avant toute chose, un rêveur né.
De nature quelque peu terre-à-terre, Tom se posait souvent la seule vraie question que tout homme normalement constitué se pose : « Comment devenir riche ? »

Alors, bien sûr, il y avait la solution qu’on nous enseignait dès notre enfance, c’est-à-dire travailler.
Mais Tom connaissait pertinemment l’étymologie du mot « travail ». C’était la raison pour laquelle il était le genre d’Homme qui ne se tuait à la tâche que moyennement.
Attention, n’allez pas croire qu’il n’avait pas d’emploi, non, il travaillait bel et bien. C’est simplement qu’il ne s’attendait pas à mener la vie dont il rêvait chaque soir uniquement grâce aux revenus de son travail.

Souvent, il essayait de trouver une réponse à sa fameuse question relative à la richesse. Bon, on ne peut pas affirmer que ses premières idées furent des plus prometteuses.

Avec un physique plus qu’acceptable, il a bien pensé à faire gigolo… Seulement, l’idée de coucher avec une femme de l’âge de sa mère l’écœurait quelque peu. Même si, il est utile de préciser qu’après quelques verres de bourbons, il peut revenir sur cette idée. Mort saoul, lors d’une partie de poker, il avait tout de même affirmé qu’il était prêt à baiser sa mère s’il perdait.

Oublions l’idée de vendre son corps alors. Que lui restait-il ? Faire des affaires, bien évidemment.
Comment pouvait-il s’y prendre ? Le commerce étant un secteur hautement concurrentiel, il va lui falloir une idée géniale ou alors beaucoup d’innovation.
Avec des marges de près de 300 à 400%, le secteur des substances illicites semblait la parfaite solution.
Seulement, là encore, il y avait un hic. Tom était un jeune mec avec la bouille en brie de Jack Palance, une coupe au gel, le muscle saillant… et du haut de son mètre cinquante, il était difficile d’imaginer qu’il pourrait impressionner ses éventuels détracteurs.
Conclusion : Tom n’était pas forcément taillé pour vendre de la cocaïne.

Mais alors, comment devenir multimillionnaire à l’image de Dan Bilzerian ? Cette question le hantait au quotidien.
La réponse, il la trouva aux aurores. Un matin, se rendant au travail de bonne heure comme tout bon salarié qui se respecte, il leva les yeux vers une affiche publicitaire dans le métro parisien… et là, éclair de génie ! Mais oui, dire que c’était devant ses yeux depuis tout ce temps !

Son Saint Graal tenait en deux mots : paris sportifs ! Mais oui, s’il y avait bien un domaine où l’on pouvait se faire de l’argent facilement, c’était bien celui des paris sportifs.

Ne sachant pas très bien quelle technique adopter au départ, il choisit d’y aller d’une manière qu’il appréciait à tout point de vue : de la manière forte.
Cela se traduisait par des mises surdimensionnées sur des équipes de football issues de villes qu’il ne savait même pas situer sur une carte.

Ce qu’il y a de vicieux avec les paris, c’est que bien souvent, les premières fois, on a tendance à gagner. Cela altère la perception de ces jeux d’argent et on en vient vite à penser qu’il s’agit effectivement d’une façon simple pour faire fortune.
Tom n’a pas été épargné par cette règle. Il a gagné de fortes sommes d’argent au départ de sa carrière de parieur fou. Ce qui le poussa à augmenter ses mises et à les diversifier.

Croyant avoir trouvée sa ruée vers l’or, il pariait de façon frénétique, il était comme possédé par le démon des jeux. Sans qu’il s’en rende compte, il dilapidait son pécule au fur et à mesure.
Et comme la chance n’est pas toujours du côté qu’on le pense, il perdait régulièrement.
Mais que fait-on quand on perd ? Et bien, on tente de se « refaire ». Traduisez cela par miser davantage.

Il s’agit-là d’un cercle sans fin dans lequel, une fois embarqué, on a du mal à s’en sortir. Et c’est exactement ce qui était en train d’arriver à Tom.

À force de tuyaux manqués, de paris farfelus ou autres combinaisons douteuses, il en arriva à un point où, il dut revenir à l’une de ses premières idées pour effacer ses ardoises…
Il faut savoir que certains prêteurs sur gage sont grandement adeptes des fellations…

Mais n’oubliez pas le mot d’ordre : la prochaine fois, on va se refaire.