Le Diable

Photographie d’une autre époque

Je ne me rappelle pas exactement l’âge que j’avais à l’époque. Peut-être dans les dix ans, quelque chose comme ça. J’étais en France depuis trois ou quatre ans. Je retournais, à l’époque, tous les étés en Roumanie, mon pays natal. C’était plutôt cool, jeune, j’adorais y retourner. Je vivais comme un pacha, on m’appelait le « Français », alors qu’en France je n’étais rien de plus que le « Gitan ».

J’avais encore pas mal de famille à l’époque qui était restée en Roumanie. C’était ensuite qu’une vague de départ avait eu lieu. Mes parents et moi étions parmi les premiers à avoir quitté la Roumanie pour aller vivre en France. Aussi, lorsque j’y retournai chaque année, j’étais content comme un parieur ayant misé sur un outsider. J’y retrouvais des oncles, des tantes, des cousins et des cousines. Bref, vous avez pigé, c’était plutôt cool.

J’adorais passer du temps avec mon cousin Bastien. C’était un chic type à l’époque. Maintenant, il est marié et a même une fille. Les choses ont changé.
A l’époque, on marchait des kilomètres pour aller dans un bled où il y avait un coiffeur, des magasins de vêtements et il y avait même une pizzeria. Avec les quelques euros que mes parents me filaient, nous étions les rois du pétrole. C’était cool, je veux dire, c’était vraiment cool cette époque.

Je me souviens d’une fois où, après avoir mangé une grosse pizza à deux, mon cousin avait eu l’idée d’aller se faire coiffer et de se faire deux traits au niveau de sa tempe gauche. Sur le chemin du retour, par un cagnard improbable, un véhicule s’arrêta à notre niveau. C’était le prêtre du village. Il avait reconnu Bastien. Nous étions, par un pur hasard, juste devant une espèce de club de strip-tease. Le hasard fait parfois mal les choses.

« Que Dieu vous bénisse les mômes. Qu’est-ce ce que vous faites là par ce temps ? Vous allez avoir un malaise.

Euh… Bonjour mon Père, bafouilla mon cousin. Bah on était en ville et là on rentre.

A pieds ? Vous êtes fous ? Allez, montez.

Merci mon Père, répondîmes-nous en chœur. »
C’était sympa parce que la route qu’il nous restait était encore longue. Mais notre réputation en eut pris un coup. Nous étions désormais catalogués comme les deux gamins qui rodaient autour des clubs de strip-tease.
Depuis ce temps, nous ne rodons plus aux alentours, nous les visitons. Mais ça, c’est une autre histoire.

Bref, avec mon cousin, nous voulions un truc pour nous amuser. Il connaissait un vieux du village qui voulait donner des petits chiots. Aussi décidâmes-nous de nous rendre chez lui pour voir ce qu’il en était.

« Bonjour M’sieur, z’avez des chiots à donner ?

Bonjour les mômes. Oui, précisément. Vous voulez les voir ?

Oh oui, ce serait super chouette. N’est-ce pas Dmitri ?

Oh pour sûr m’sieur. Pour sûr. »

Nous suivîmes ce vieux monsieur vers une espèce d’étable où étaient entreposés, en plus d’une vache et d’un cheval, cinq petits chiots dans un minuscule enclos.
Petite aparté, lorsque j’étais jeune, j’avais toujours vu une vache et un cheval dans l’étable. Aussi, il était tout à fait naturel pour moi de penser que le cheval était le mâle de la vache. Bon sang que je pouvais être naïf à cette époque.

Tous les chiots étaient tous plus mignons les uns que les autres. Nous voulions tous les prendre, mais savions pertinemment qu’il s’agissait d’une terrible idée.
Le vieux nous laissa quelque temps avec les chiots pour qu’on prenne le temps de nous décider. Nous nous mîmes d’accord sur une petite boule de poils de couleur marron et blanc. Il était terriblement mignon.

Nous fîmes part de notre choix au vieux mais il nous expliqua qu’un problème se présentait.
« Ah ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il est encore trop petit. Mais dans une semaine et demie ou deux, il est à vous.

Ah ! » fîmes-nous l’air triste.

Tant pis, nous rebroussâmes chemin et nous dirigeâmes vers le domicile de mon cousin. Comme nous n’avions pas vu le temps passer, il faisait déjà presque nuit. Enfin, je veux dire, vraiment nuit, pas comme à Paris où on a du mal à distinguer le jour de la nuit tellement c’est éclairé.

Heureusement mon cousin connaissait les chemins comme sa poche et nous nous dirigeâmes à pas de course vers chez lui. Aucun de nous deux n’osa avouer que nous avions la trouille. Pourtant, cela se voyait que nous avions les chocottes tous deux.

Nous avions un sacré challenge à franchir. En effet, la maison de mon cousin était bordée par deux cimetières : l’un pour les orthodoxes et l’autre pour les catholiques. Non pas que nous crûmes à toutes ces sottises de morts-vivants ou quoi, mais bon, il y a meilleur endroit pour se balader la nuit qu’un cimetière.

Lorsque nous fûmes aux abords du premier cimetière, celui des catholiques, il faisait noir comme pas possible. Seule la lune nous délivrait son peu de lumière. Pourtant, nous vîmes un type venir en notre direction. Plus il s’approchait, plus j’avais les chocottes. Mon cousin aussi, mais il ne me l’avoua que bien plus tard.

Lorsqu’il fut qu’à quelques mètres, nous vîmes qu’il portait un vélo sur ses épaules. Nous nous regardâmes avec mon cousin et fronçâmes les sourcils.

Il était maintenant à notre niveau, mais nous ne parvînmes pas à distinguer son visage, encore moins à l’identifier. Mon cousin et moi dîmes : « Bonsoir m’sieur ! », mais le type n’eut aucune réaction et nous eûmes aucune réponse. C’est comme s’il ne nous avait pas vu.

Peu importait, nous continuâmes notre route, accélérant le pas de plus en plus vite. Encore une fois, ni mon cousin, ni moi voulions montre un quelconque signe de frayeur, à cet âge, la dignité était quelque chose de très important. Enfin…

Nous nous regardâmes avec mon cousin, puis prîmes tout notre courage entre nos mains pour nous retourner et voir où était le type.

Nous pivotâmes et, bon Dieu, le type s’était évaporé. Il avait tout bonnement disparu. Nulle trace de lui. C’était tout simplement impossible. Il n’avait nulle part où aller. L’entrée du cimetière était fermée, aucune habitation aux alentours et la route ne permettait pas de bifurquer.

Nous nous regardâmes de nouveau mon cousin et moi et, ni une, ni deux, il prit ses jambes à son cou et couru comme un dératé. Je fis de même, toute dignité mise de côté, mais mon cousin était plus athlétique que moi, il courait vite ce con. Je tentais désespérément de suivre son allure mais il allait trop vite.

Il prenait de plus en plus de distance sur moi, j’avais les larmes aux yeux, mais je ne pouvais pas pleurer, j’estimais ne pas être une lopette, tout de même.

Bastien était évidemment arrivé avant moi chez lui et lorsque je l’y rejoignis, nous étions essoufflés comme pas possible. Nous nous contentâmes de nous regarder sans rien dire et rentrâmes chez lui.

Lorsque nous eûmes repris nos esprits, il osa : « Tu te rends compte mec, on vient de croiser le Diable.

Ouais.

Ouais. »

Nous allâmes nous coucher sans même regarder la télé. C’était quelque chose.

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