Dans les contrées des Carpates se réveille d’un sommeil éternel ce cher Vlad. À quoi bon l’éternité si on ne peut admirer un couché de soleil ou regarder les nuages ? À quoi bon être éternel si tous ceux qui nous entourent disparaissent un par un ? “Viens on s’embrasse sous les linceuls, j’viens avec toi mon assassin Parce que tu sais l’éternité c’est long tout seul, surtout vers la fin…”
Dmitri avait dans les quatre ou peut-être cinq ans quand cela s’était passé. Il vivait dans un village plutôt isolé au fin fond de la Roumanie. À l’époque, il n’avait pas vraiment conscience de ce qu’était la vie. Il vivait juste, il était constamment heureux. La vie ne devient réellement difficile que lorsque les premières pulsions sexuelles arrivent. Vous devez probablement savoir de quoi je parle.
Il vivait avec ses parents au premier étage de la maison familiale. Au rez-de-chaussée se trouvait l’atelier de menuiserie de son père. C’était là l’affaire familiale. Ainsi, il était le fils du menuisier du village. C’était plutôt cool comme statut. La maison mitoyenne était celle de ses grands-parents paternels. Ses grands-parents maternels vivaient à une vingtaine de minutes à pied de là.
Sa mère fut l’une des premières femmes du village à avoir son permis de conduire et une voiture. C’était tout de même quelque chose à l’époque. Le style de vie était plus proche du Moyen-Âge que de l’époque contemporaine.
Un jour, ils allèrent rendre visite à ses grands-parents maternels. Ils y passèrent l’après-midi et une bonne partie de la soirée. Dmitri tombait de fatigue. Mais il résistait pour faire comme les grands. Et, accessoirement, il était plus qu’excité par la journée qui l’attendait le lendemain. En effet, il devait accompagner sa mère en ville en voiture. C’était réellement un truc qui le faisait triper.
Les heures passaient, mais les grands ne semblaient pas décidés à mettre fin à leurs conversations auxquelles il n’y comprenait pas grand-chose. Il récita cinq « Notre Père » dans sa tête pour qu’ils se décident enfin à rentrer. Ses prières furent vaines, car cela continuait et continuait…
« Maman ?
Oui mon petit chéri ?
Quand est-ce qu’on rentre ?
Bientôt mon chéri, bientôt. Mais va t’allonger sur le lit, je te réveillerai quand on partira.
OK. »
Il alla donc s’allonger quelques instants dans le lit. Il se dit qu’il ne dormirait que quelques minutes afin d’estomper un peu sa fatigue qui devenait de plus en plus pressante. Il ôta simplement ses chaussures et s’allongea, tout habillé qu’il était, dans le lit. Morphée ne tarda pas à l’envelopper dans ses bras. En à peine deux minutes, il trouva le sommeil du juste et dormait la bouche ouverte, la bave lui coulant sur la joue.
Il ouvrit les yeux au bout de quelques minutes selon ses estimations. En réalité, il faisait déjà nuit noire et, se relevant, il observa qu’à côté de lui il y avait son cousin qui avait dormi également là et son frère. Dans l’autre lit, son grand-père ronflait à faire trembler un sourd. Il jeta un coup d’œil sur l’horloge accrochée au mur, il ne savait pas encore lire l’heure, mais une chose était sûre, plusieurs heures s’étaient écoulée entre le moment où il s’était mis au lit et son réveil. Voilà là un parfait exemple de la relativité des choses : assoupissez-vous une poignée de minutes et vous vous réveillerez bien des heures plus tard. A contrario, dormez douze heures d’affilée et vous vous réveillerez davantage fatigué qu’après une sieste d’une demi-heure. Satané Morphée.
Il se leva, alla dans l’autre chambre vérifier si sa mère dormait là, mais elle n’y était pas. Il sortit dehors vérifier si la voiture de sa mère se trouvait dans le garage, elle n’y était pas. Il se sentit trahi. « Bon Dieu, comment a-t-elle pu me faire cela ? » Cela signifiait qu’il n’aurait pas le droit à sa balade en ville le lendemain. Les larmes lui montèrent aux yeux.
Il alla aux toilettes qui se trouvaient à côté de la grange, pissa et en sortit. Il était pieds nus, mais il n’en avait pas grand-chose à faire. La boue lui chatouilla les orteils, c’était plutôt agréable.
Il passa le portail et se dirigea vers la maison de ses parents. Il était dans les quatre heures du matin, il faisait plutôt frais, il était pieds nus. C’était l’été, mais la température nocturne n’était pas des plus agréables. Mais cela n’entacha en rien sa détermination. Il comptait à tout prix aller en ville avec sa mère le lendemain.
Sur le trajet, une meute de chiens errants aboya en sa direction et se montra menaçante, mais son courage était décuplé, car il ne pensa qu’au lendemain. Il continua d’avancer tout droit alors même que les chiens aboyaient sur lui et qu’ils se trouvaient à quelques centimètres de lui. Les chiens lui faisaient habituellement peur. Il avait entendu des tas d’histoires de chiens mangeurs d’hommes. Mais en réalité, il n’était pas certain qu’on ne lui ait pas raconté des cracks. Les adultes font souvent ça. Ils racontent n’importe quoi aux enfants pour les impressionner. Il n’y a rien de plus facilement impressionnable qu’un môme.
Cette épreuve passée, il rentra tranquillement chez lui. La pleine lune éclairait suffisamment pour qu’il y vît quelque chose, car n’allez pas croire que son village était équipé de quelque réverbère que ce fut. Il accéléra le pas, car le froid commençait à lui faire trembler tout son corps. Il ne voulait pas céder à la tentation de commencer à courir, car, en réalité, il avait un peu peur, mais s’il commençait à courir, pour sûr que la panique allait le gagner. Il s’efforça donc de marcher tranquillement en regardant droit devant lui, il ne fallait surtout pas qu’il se retourne. Il était indubitablement seul, mais il avait une forte impression d’être suivi. « Tout ça, c’est dans ta tête », répéta-t-il à haute voix plusieurs fois.
Pourtant, arrivé au niveau de la rue où se trouvait sa maison, il commença à prendre ses jambes à son cou. Les derniers mètres semblaient si longs, il était essoufflé et avait terriblement froid. Arrivé devant son portail, il aperçut quelque chose dans la vigne qui se trouvait dans son jardin. Il ne parvenait pas à distinguer de quoi il s’agissait précisément, car il faisait plutôt sombre et son état mêlant peur et euphorie troublait un peu sa vue. Puis, soudain, il entendit : « Psst… Hé !
Qui va là ? dit-il.
Psst. »
Il s’approcha un peu de la vigne et là, il faillit tomber à la renverse. Un visage d’homme avec des poils recouvrant tout son visage sur un corps d’araignée regardait en sa direction. Ses yeux brillaient tels ceux d’un chat et il ondulait ses pattes semblant vouloir s’accrocher aux branches. « Psst », fit la bête de nouveau. Il était complètement tétanisé, il voulait hurler, crier à l’aide, mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Il voulait détaler à toute vitesse, mais il ne parvenait pas à faire le moindre mouvement. Il était paralysé par la peur.
La bête commençait à s’approcher doucement vers lui. Elle lui dit « N’aie pas peur, mon enfant. » C’était très étrange, elle avait la même voix que son frère. Il ne parvenait toujours pas à bouger, ni à émettre le moindre son avec sa bouche. La bête n’était plus qu’à quelques centimètres de lui, quand soudain, il avait récupéré l’usage de ses mouvements et, ni une, ni deux, il s’élança vers les escaliers menant à l’étage de sa maison. Il grimpa les marches deux par deux et, arrivé devant la porte, il tambourina comme un dégénéré. « Ouvrez-moi, pour l’amour du Christ ! Ouvrez-moi ! » Sa mère vint lui ouvrir, encore à moitié endormie. « Mais qu’est-ce que tu fais là mon chéri ? » Il ne répondit rien, il tremblait de peur et de froid. Sa mère l’enveloppa de ses bras et alla le mettre dans son lit. Il trembla ainsi durant de bonnes minutes avant de trouver de nouveau le sommeil.
Le lendemain, finalement, sa mère avait eu un empêchement et ils n’étaient pas partis en ville. Plus rien n’avait d’importance désormais, il était sûr d’avoir croisé le Diable sur sa route.
Je ne me rappelle pas exactement l’âge que j’avais à l’époque. Peut-être dans les dix ans, quelque chose comme ça. J’étais en France depuis trois ou quatre ans. Je retournais, à l’époque, tous les étés en Roumanie, mon pays natal. C’était plutôt cool, jeune, j’adorais y retourner. Je vivais comme un pacha, on m’appelait le « Français », alors qu’en France je n’étais rien de plus que le « Gitan ».
J’avais encore pas mal de famille à l’époque qui était restée en Roumanie. C’était ensuite qu’une vague de départ avait eu lieu. Mes parents et moi étions parmi les premiers à avoir quitté la Roumanie pour aller vivre en France. Aussi, lorsque j’y retournai chaque année, j’étais content comme un parieur ayant misé sur un outsider. J’y retrouvais des oncles, des tantes, des cousins et des cousines. Bref, vous avez pigé, c’était plutôt cool.
J’adorais passer du temps avec mon cousin Bastien. C’était un chic type à l’époque. Maintenant, il est marié et a même une fille. Les choses ont changé. A l’époque, on marchait des kilomètres pour aller dans un bled où il y avait un coiffeur, des magasins de vêtements et il y avait même une pizzeria. Avec les quelques euros que mes parents me filaient, nous étions les rois du pétrole. C’était cool, je veux dire, c’était vraiment cool cette époque.
Je me souviens d’une fois où, après avoir mangé une grosse pizza à deux, mon cousin avait eu l’idée d’aller se faire coiffer et de se faire deux traits au niveau de sa tempe gauche. Sur le chemin du retour, par un cagnard improbable, un véhicule s’arrêta à notre niveau. C’était le prêtre du village. Il avait reconnu Bastien. Nous étions, par un pur hasard, juste devant une espèce de club de strip-tease. Le hasard fait parfois mal les choses.
« Que Dieu vous bénisse les mômes. Qu’est-ce ce que vous faites là par ce temps ? Vous allez avoir un malaise.
Euh… Bonjour mon Père, bafouilla mon cousin. Bah on était en ville et là on rentre.
A pieds ? Vous êtes fous ? Allez, montez.
Merci mon Père, répondîmes-nous en chœur. » C’était sympa parce que la route qu’il nous restait était encore longue. Mais notre réputation en eut pris un coup. Nous étions désormais catalogués comme les deux gamins qui rodaient autour des clubs de strip-tease. Depuis ce temps, nous ne rodons plus aux alentours, nous les visitons. Mais ça, c’est une autre histoire.
Bref, avec mon cousin, nous voulions un truc pour nous amuser. Il connaissait un vieux du village qui voulait donner des petits chiots. Aussi décidâmes-nous de nous rendre chez lui pour voir ce qu’il en était.
« Bonjour M’sieur, z’avez des chiots à donner ?
Bonjour les mômes. Oui, précisément. Vous voulez les voir ?
Oh oui, ce serait super chouette. N’est-ce pas Dmitri ?
Oh pour sûr m’sieur. Pour sûr. »
Nous suivîmes ce vieux monsieur vers une espèce d’étable où étaient entreposés, en plus d’une vache et d’un cheval, cinq petits chiots dans un minuscule enclos. Petite aparté, lorsque j’étais jeune, j’avais toujours vu une vache et un cheval dans l’étable. Aussi, il était tout à fait naturel pour moi de penser que le cheval était le mâle de la vache. Bon sang que je pouvais être naïf à cette époque.
Tous les chiots étaient tous plus mignons les uns que les autres. Nous voulions tous les prendre, mais savions pertinemment qu’il s’agissait d’une terrible idée. Le vieux nous laissa quelque temps avec les chiots pour qu’on prenne le temps de nous décider. Nous nous mîmes d’accord sur une petite boule de poils de couleur marron et blanc. Il était terriblement mignon.
Nous fîmes part de notre choix au vieux mais il nous expliqua qu’un problème se présentait. « Ah ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Il est encore trop petit. Mais dans une semaine et demie ou deux, il est à vous.
Ah ! » fîmes-nous l’air triste.
Tant pis, nous rebroussâmes chemin et nous dirigeâmes vers le domicile de mon cousin. Comme nous n’avions pas vu le temps passer, il faisait déjà presque nuit. Enfin, je veux dire, vraiment nuit, pas comme à Paris où on a du mal à distinguer le jour de la nuit tellement c’est éclairé.
Heureusement mon cousin connaissait les chemins comme sa poche et nous nous dirigeâmes à pas de course vers chez lui. Aucun de nous deux n’osa avouer que nous avions la trouille. Pourtant, cela se voyait que nous avions les chocottes tous deux.
Nous avions un sacré challenge à franchir. En effet, la maison de mon cousin était bordée par deux cimetières : l’un pour les orthodoxes et l’autre pour les catholiques. Non pas que nous crûmes à toutes ces sottises de morts-vivants ou quoi, mais bon, il y a meilleur endroit pour se balader la nuit qu’un cimetière.
Lorsque nous fûmes aux abords du premier cimetière, celui des catholiques, il faisait noir comme pas possible. Seule la lune nous délivrait son peu de lumière. Pourtant, nous vîmes un type venir en notre direction. Plus il s’approchait, plus j’avais les chocottes. Mon cousin aussi, mais il ne me l’avoua que bien plus tard.
Lorsqu’il fut qu’à quelques mètres, nous vîmes qu’il portait un vélo sur ses épaules. Nous nous regardâmes avec mon cousin et fronçâmes les sourcils.
Il était maintenant à notre niveau, mais nous ne parvînmes pas à distinguer son visage, encore moins à l’identifier. Mon cousin et moi dîmes : « Bonsoir m’sieur ! », mais le type n’eut aucune réaction et nous eûmes aucune réponse. C’est comme s’il ne nous avait pas vu.
Peu importait, nous continuâmes notre route, accélérant le pas de plus en plus vite. Encore une fois, ni mon cousin, ni moi voulions montre un quelconque signe de frayeur, à cet âge, la dignité était quelque chose de très important. Enfin…
Nous nous regardâmes avec mon cousin, puis prîmes tout notre courage entre nos mains pour nous retourner et voir où était le type.
Nous pivotâmes et, bon Dieu, le type s’était évaporé. Il avait tout bonnement disparu. Nulle trace de lui. C’était tout simplement impossible. Il n’avait nulle part où aller. L’entrée du cimetière était fermée, aucune habitation aux alentours et la route ne permettait pas de bifurquer.
Nous nous regardâmes de nouveau mon cousin et moi et, ni une, ni deux, il prit ses jambes à son cou et couru comme un dératé. Je fis de même, toute dignité mise de côté, mais mon cousin était plus athlétique que moi, il courait vite ce con. Je tentais désespérément de suivre son allure mais il allait trop vite.
Il prenait de plus en plus de distance sur moi, j’avais les larmes aux yeux, mais je ne pouvais pas pleurer, j’estimais ne pas être une lopette, tout de même.
Bastien était évidemment arrivé avant moi chez lui et lorsque je l’y rejoignis, nous étions essoufflés comme pas possible. Nous nous contentâmes de nous regarder sans rien dire et rentrâmes chez lui.
Lorsque nous eûmes repris nos esprits, il osa : « Tu te rends compte mec, on vient de croiser le Diable.
Ouais.
Ouais. »
Nous allâmes nous coucher sans même regarder la télé. C’était quelque chose.
j’avais dans les huit ou neuf ans et j’étais retourné en Roumanie pour rendre visite à ma famille qui était restée là-bas.
c’était l’été et il faisait une chaleur de bête, y compris la nuit.
la maison de mes grands-parents paternels était plutôt imposante et avait l’avantage de conserver une température décente à l’intérieur. c’était très agréable, car lorsqu’on entrait dedans, un voluptueux choc thermique nous envoutait.
comme j’avais veillé assez tard, mes parents me laissèrent dormir là-bas, chez les vieux.
mes grands-parents s’étaient essayés à l’apiculture, aussi avaient-ils des abeilles qui rodaient en permanence dans les parages.
j’étais terrifié par les abeilles parce que j’avais entendu dire qu’un homme était mort, car il s’était fait piqué par des abeilles.
mais je décidai de ne pas trop y penser. je parvins à m’endormir, mais fus réveillé en sursaut avec une terrible douleur au niveau de la voute plantaire. j’alarmai toute la maison en hurlant de douleur.
une abeille m’avait piqué à cet endroit précis. j’ai tout de suite pensé que j’allais mourir. je vis ma courte vie défiler devant moi : les fêtes que je n’avais pas faites, les petites copines que je n’avais pas eues, les voyages que je n’avais pas faits…
ma grand-mère vint me poser un torchon avec de l’eau froide et cela apaisa instantanément la douleur.
je me risquai à lui demander si j’allais mourir ou, encore pire, si j’allais perdre mon pied. elle ria à gorge déployée… j’avais compris, je me sentis ridicule… mais au moins, je n’étais pas mort.